Pierre mythique, le grenat est utilisé en joaillerie selon une technique connue depuis l’Antiquité. Rencontre dans les Pyrénées-Orientales avec la famille Privat, qui le sublime dans des bijoux, emblèmes de la culture et du savoir-faire catalans.
Aux portes des Pyrénées catalanes, la commune de Prades rayonne des couleurs de ses grenats. Provenant autrefois des contreforts du Canigou, ces pierres rouge sang serties dans un chaton d’or font écho au drapeau qui fait battre le cœur du département. Porte-bonheur pour les uns, héritages culturels pour les autres, ces bijoux sont le cadeau phare des familles catalanes.
À l’entrée de la ville, la Manufacture du grenat de Jérôme et Henri Privat donne tout son éclat au précieux joyau depuis trois générations. « Mon père [Georges Privat] n’était pas destiné à la bijouterie. Tombé gravement malade pendant la Seconde Guerre mondiale, il est venu s’installer en Cerdagne, à la frontière espagnole. D’abord représentant pour une maison d’horlogerie en Andorre et en Espagne, il crée l’affaire à Bourg-Madame, en 1945 », raconte Jérôme Privat. Si l’homme de 72 ans a désormais cédé les rênes de l’entreprise familiale à son fils Henri, il peut être fier d’avoir contribué à son développement. « Nous avons débuté par une petite bijouterie, avant de faire progresser notre activité. Depuis 1994, nous vendons nos créations en direct sous la marque Joyaux catalans afin de garantir des bijoux de belle facture et préserver un savoir-faire catalan en proposant une fabrication entièrement locale. » Lui qui se prédestinait à la prêtrise a fini par embrasser le destin familial : « J’ai repris l’entreprise à l’âge de 28 ans, confesse-t-il. Je faisais des études de théologie et me perfectionnais sur le matériel de fabrication d’aviation. En parallèle, j’ai été formé par le fondeur de Salvador Dalí : le bijoutier Georges Lavaill. C’est lui qui m’a communiqué l’amour du grenat. » Si Jérôme Privat est à l’origine du déménagement de la société à Prades dans les années 1970, c’est aussi lui qui a transmis la passion de la pierre à son fils.
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Une technique ancestrale singulière
Le grenat catalan est une pierre, mais aussi un savoir-faire et un bijou. Il doit son nom non pas à une extraction minière dans le Canigou (qui n’a plus cours aujourd’hui), mais bien à la technique de montage, unique en France. « Le principe du bijou catalan repose sur un chaton fermé. L’arrière de la pierre n’est pas visible, ce qui explique qu’elle est taillée à plat et non en culasse », précise Henri Privat. Pour conserver l’éclat de la pierre dans ce système fermé, on loge au fond du chaton un paillon : une petite feuille d’argent très mince qui joue le rôle de réflecteur de lumière.
En 2003, la famille Privat a mis au point un procédé pour éviter l’altération de cette feuille. « Notre système consiste à polir le métal pour réfléchir la lumière, révèle Henri. Nous appliquons ensuite une résine cuite au four. C’est elle qui va le protéger de l’altération. » Féru d’histoire, Jérôme Privat est remonté aux origines du paillon. « J’ai trouvé des bijoux fabriqués avec cette technique utilisant la réflexion de la lumière qui sont datés de la Grèce antique ! », s’émerveille-t-il. À ses côtés, son fils conclut : « Nous n’avons pas inventé, mais au contraire conservé. Nous sommes la seule région à avoir préservé ce savoir-faire. » Une tradition catalane que l’on peut découvrir grâce aux visites guidées des ateliers de la Manufacture du grenat, qui attirent chaque année plus de 10 000 visiteurs.
On ne badine pas avec la badine
Parée de grenats, la badine est la plus typique des croix fabriquées en Roussillon. « Contrairement aux croix classiques, qui sont rigides, la partie basse de la badine est articulée, explique Henri Privat, de la Manufacture du grenat. Cette particularité remonterait aux cathares, des hérétiques aux yeux de l’Église catholique romaine. Pour ne pas se faire remarquer, les cathares ajoutaient une pierre à l’extrémité basse de leur croix pour lui donner des proportions catholiques. Mais cet élément ne faisant pas corps avec le reste, il pouvait être ôté à l’envi ! »
Texte et photos : Sophie Pierre pour Esprit d’ici.