La gentiane, cette fleur jaune, promet de généreuses racines. Précieuses, onéreuses, savoureuses…

Avec la gentiane, il ne faut pas être pressé. Née sous le signe de la lenteur, elle raisonne non pas en termes de saisons mais de générations. Cette plante amorce sa croissance sous terre, en prenant tout son temps : ce n’est qu’au bout de dix ans qu’elle daigne pointer le nez à la surface. Ainsi révélée par la présence de sa tige, elle s’expose alors à la convoitise des cueilleurs. Ses parties aériennes n’intéressent pas grand monde, à part les vaches. La racine, en revanche, se vend à prix d’or, à condition qu’elle soit dans la force de l’âge. Vingt-cinq printemps doivent se succéder pour qu’une racine de gentiane arrive à maturité. Cela oblige les exploitants à une rotation de secteurs, soit une génération de repos. Une demi douzaine de grossistes (ou exploitants) se partagent le marché français. À l’issue de tractations généralement très longues (cinq ans en moyenne, mais parfois trois décennies !), ils achètent à des propriétaires de parcelles le droit de récolter la gentiane.

À l’aide de la « fourche du diable », les cueilleurs extirpent des profondeurs les racines pouvant atteindre 1,50 mètre. Une mini-pelle les assiste parfois quand le terrain l’impose. La motte est grossièrement secouée, la plante coupée net au collet et la partie aérienne laissée sur place. Les racines sont expédiées dans des distilleries ou des fabriques d’arômes. Elles sont découpées au coupe-betterave, lavées et mises à macérer dans de l’alcool de betterave (neutre), qui va capter les arômes de la gentiane (dont le goût naturel évoque la réglisse). Après la macération (entre 4 à 9 mois, ce qui joue sur l’amertume et la longueur en bouche) de vient la filtration. Au liquide obtenu sont ajoutés de l’eau, du sucre et des extraits de plantes.

À l’état sauvage, une gentiane dévoile sa hampe florale qu’au bout de dix années.
Les cueilleurs ligotent les racines dans des sacs de 50 kg qui sont expédiés dans des distilleries (en France, en Suisse, en Autriche et en Allemagne) ou dans des fabriques d’arômes.
Un ouvrier récolte en moyenne 200 kg de racines en une journée, soit 150 pièces.

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Une dégustation qui ne laisse pas indifférent

La fabrication de la liqueur de gentiane, prisée pour ses vertus dépuratives, fut longtemps une affaire domestique. Pendant l’estive, les paysans faisaient macérer les racines dans du vin pour soigner tant les animaux que les hommes. Elle s’industrialisa à la fin du XIXème siècle avec l’essor des liquoristeries. En Auvergne, la gentiane est une boisson culte, toutes générations confondues. Les distillateurs élargissent sans cesse leur gamme avec de nouveaux parfums et des produits dérivés, les bistrots en glissent dans leurs cocktails maison tandis que les chefs innovent avec des émulsions, des crèmes brûlées ou des riz au lait à la gentiane. L’amertume est « la colonne vertébrale d’un plat », selon Régis Marcon, trois étoiles au Michelin. Elle titille les capteurs organoleptiques situés à la base du palais et reste longtemps en bouche. En outre, elle s’associe aussi bien au salé qu’au sucré. Une saveur à apprivoiser en finesse.

À la distillerie, les racines étalées sur une grille sont lavées au jet pour ôter toute trace de terre.
Les racines sont ensuite grossièrement effilochées dans une broyeuse.
À Aurillac, la Maison Couderc, centenaire, fait la part belle à la gentiane, déclinée en de multiples parfums et produits dérivés.

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Palmarès de marques

Plusieurs fabricants se disputent le marché, avec des différences notables de goûts.

  • La Suze, leader mondial, fut créée en 1889 pour tenter d’« accrocher » le marché parisien. Son goût est adapté au plus grand nombre, donc moins typé.
  • L’Avèze, née à Riom (Puy-de-Dôme) en 1929, est la deuxième en termes de parts de marché. La marque, toujours produite localement, appartient désormais au groupe La Martiniquaise.
  • La Salers, « made in Corrèze », est la plus populaire dans le Massif central.
  • La Couderc, installée à Aurillac depuis 1908, est la plus confidentielle et la plus dynamique. La maison Louis Couderc est la dernière fabrique indépendante du Cantal, fief historique de la gentiane.

Texte : Dominique Lesbros / Photos : Marie-José Jarry pour Esprit d’ici.