Cet animal sympathique et très affairé est un sujet délicat à photographier, ce qui rend d’autant plus remarquable ce reportage réalisé avec l’aimable collaboration d’une famille de castors ligériens.

Il va, vient, ronge, passe en traînant une branche de peuplier, plonge et refait surface quelques mètres plus loin. Une vie de castor, croyez-moi, n’est pas de tout repos. Pour observer un mammifère en train de roupiller au soleil une bonne partie de la journée, il faut sonner chez la loutre, la porte à côté. Précisons que l’activité du castor est en grande partie nocturne voire crépusculaire. C’est en relevant les habitudes d’une famille de castors réglée comme un coucou suisse que le photographe animalier Louis-Marie Préau a su se poster à des endroits stratégiques. Inutile de chercher à se dissimuler ; si le castor possède une vision médiocre, il dispose en revanche d’un odorat très fin.

Une vie de famille bien réglée

La seule méthode pour l’approcher est celle du renard et du Petit Prince, consistant en une mise en confiance progressive. À force de voir tous les jours cet individu qui manifestement ne leur voulait aucun mal, les castors se sont accoutumés. Ils ont bien voulu tolérer sa présence, à condition toutefois que le quidam ne prenne pas trop de libertés. La femelle, par exemple, savait montrer son mécontentement quand il s’approchait trop près de son petit. Par de vigoureux coups de queue, elle projetait des gerbes d’eau inondant le matériel photo. Les castors vivent en famille, noyau composé des deux parents et des deux ou trois jeunes de l’année, plus éventuellement un ou deux grands frères pas pressés de quitter la hutte terrier. Contrairement au ragondin, le castor est très territorial. Son domaine couvre 3 à 4 kilomètres de fleuve, avec une prédilection pour les îlots et les rives boisées, dans l’idéal riches en saules, en trembles et en peupliers. Il se régale de ces bois tendres mais aussi de feuilles, d’écorces souples, de bulbes et de plantes aquatiques. Qui a dit que « régime végétarien » rimait avec monotonie ? Quand elle n’est pas grignotée, la végétation ligneuse sert à construire le gîte, composé d’un trou dans la berge et surmonté d’un amas de branchages.

Prises de vues en plongée

Il arrive qu’une crue intempestive inonde le terrier. Un fait divers de ce genre a donné lieu à une scène émouvante dont fut témoin le photographe : « Dans l’urgence, les parents ont dû évacuer leurs trois petits, en les portant un par un dans leur gueule, en se relayant même pour le dernier. Cela révèle un comportement coopératif et protecteur. » Il s’est amusé aussi de constater que les castors juniors imitent en tout point leurs aînés dans les gestes de la vie quotidienne. Pour les saisir au vif, l’astucieux photographe a mis au point un affût flottant : équipé jusqu’au cou d’une combinaison néoprène, il s’appuie sur un bidon flottant sur lequel est fixé son appareil photo. Cet « OFNI » lui permet de suivre quelque peu le castor dans ses déplacements. Mais, frustré de voir si souvent l’animal échapper à son objectif en plongeant dans l’eau, Louis-Marie Préau a finalement décidé d’investir dans un caisson étanche et de plonger à son tour. Cette nouvelle approche lui a permis de satisfaire sa curiosité et surtout de varier les prises de vue, relativement limitées à la surface : monsieur castor en train de nager ou de ronger une branche, face, profil, trois-quart. Un angle réducteur pour rendre compte de son quotidien. Sachant à l’avance où se trouvaient le nid et le réfectoire du castor, le photographe s’est stratégiquement placé à mi-chemin des deux sites pour réaliser, en apnée (!), ces rares photos subaquatiques.

  1. Cet animal prudent à la vie bien réglée exige que l’entrée de son terrier soit en permanence immergée. Quand le niveau de l’eau baisse, il ramène des branchages pour dissimuler son accès aux prédateurs.
  2. Le castor a tendance à sortir chaque jour à la même heure, au crépuscule.
  3. Il s’est équipé de caissons étanches. Les photos ont été ici réalisées en apnée, à une distance d’environ 15 mètres.
  4. Une bonne partie de l’activité crépusculaire du castor, peu aventureux, consiste à faire la navette entre son nid et son réfectoire.
  5. Louis-Marie Préau n’hésite pas à mouiller sa chemise pour recueillir des photos subaquatiques uniques.
  6. De vigoureux coups de queue expriment son mécontentement.