Les deux pieds bien plantés dans sa terre charentaise, cette pantoufle indémodable s’est glissée à pas feutrés dans la postérité.

Si la formule « tradition et modernité » n’était pas éculée comme une vieille savate, elle devrait être réservée à ce fleuron de notre patrimoine qui, de part et d’autre de nos frontières, enveloppe d’un confort souverain les arpions de nos contemporains. Son berceau se situe près des affluents de la Charente, là où se développa au XVIIe siècle, une industrie textile et papetière. Pour presser la pâte à papier, on recourait à des feutres de laine qui se trouvaient ainsi imperméabilisés. « Rien ne se perd, tout se transforme » étant un adage également connu des savetiers, l’un d’eux eut l’idée de recycler ces rebuts pour en faire des semelles souples et confortables à glisser dans les sabots des paysans.

Un nouvel accessoire de mode

Chemin faisant, il s’avisa de l’existence d’excédents de tissu d’uniformes de la marine royale basée à Rochefort. Découpés, ils fournirent la tige d’une pantoufle cousue à la semelle grâce à un solide fil de chanvre par un point connu sous le nom de point de… chausson. Si on ignore les raisons du choix du motif écossais, cher aux « pantouflards », on sait que la languette remontant sur le cou-de-pied – un de ses signes distinctifs – était conçue pour éviter la morsure du bois des sabots. Dotées plus tard d’une semelle rigide, c’est à bas bruit que les charentaises firent leurs premiers pas sur le parquet ciré de l’aristocratie. Surnommées « silencieuses », elles étaient portées par les valets devant se déplacer dans la chambre des maîtres sans les réveiller. Créée en 1907, l’entreprise familiale Rondinaud est la plus ancienne encore en activité à produire des charentaises selon la méthode du cousu-retourné. Leader du marché, elle exporte depuis les années 1950 cet art de vivre à la française, du Japon à l’Amérique du Nord. Du modèle en feutre aux versions cachemire ou faux vison de jeunes designers, du prétendu « ringard » au proclamé « branché », la charentaise fait alertement le grand écart.

  1. Cette pantoufle, posée sur un moule en aluminium, va être montée par vulcanisation, un procédé différent du cousu-retourné traditionnel.
  2. Le montage vulcanisé demande des gestes précis : le caoutchouc froid versé dans le moule.
  3. La talonnette et un intercalaire posés, la tige chaude vient se mouler par-dessus, en faisant fondre le caoutchouc.
  4. Des étapes réglées avec minutie.
  5. La tige en feutre est prête à être détachée du coupe-tiges avant de passer à l’atelier de piquage.
  6. Sur chaque semelle, la pointure est inscrite au tampon encreur.